jeudi 4 novembre 2010

Rentabilité et FLE, quand les mélanges ne font pas bon ménage...

Et si je ne suis pas d'accord? Et si moi, ce n'est pas comme ça que je vois l'enseignement? Quand la rentabilité se confronte à l'enseignement, ça fait parfois des étincelles. Je vous l'ai dit, je n'assure pour l'instant que des cours particuliers, et la plupart de mes apprenants sont ici dans un objectif extrêmement pragmatique: réussir à valider l'entretien proposé par le Ministère de l'Immigration du Québec pour stimuler une immigration positive. Pour cet entretien il faut: bien entendu savoir parler français, mais aussi savoir répondre à toutes les questions classiques sur les motivations, le parcours universitaire et professionnel, et surtout les raisons pour lesquelles le candidat est le meilleur des candidats, que ce sera lui le plus fort, le plus motivé... Donc pour cet entretien, il faut aller vite, très vite dans le manuel, il faut aussi étudier et décortiquer toutes ces questions, il faut savoir parler des valeurs et coutumes du pays d'accueil et les comparer à celles du pays d'origine. Et c'est là qu'intervient cette ombre menaçante, ce mot sur lequel je vomis, qui me débecte et contre lequel je me bats: RENTABILITE. Après une grosse remise en question (du genre je suis la plus nulle des profs, pourquoi j'ai choisi ce boulot, je m'en sortirai jamais...), je demande à ma responsable de venir observer un de mes cours et de me dire ce qu'elle en pense. Pas de bol, le cours qu'elle vient observer est d'une heure (ce qui est très très très court), et mon élève n'a pas fait les devoirs que je lui avais demandé. Or si cette règle du pronom COI n'est pas intégrée et automatisée par les exercices prévus, alors à quoi bon continuer? C'est peut-être stupide, mais voilà, parfois, je ne lâche pas l'affaire. Donc, qu'est-ce qu'on fait? Ben écoute, on les fait ensemble ces exercices, et puis voilà!! Sauf que mon élève est du genre très appliqué, il prend son temps pour répondre, il mesure chacun de ses mots pour ne pas faire d'erreurs, et cet exercice à priori plutôt rapide s'étale en longueur, prend son temps, plus de temps que prévu, sûrement, mais moi l'enseignante je suis plutôt contente; mon élève à la fin de cet exercice a compris, je le sais, et il ne fera pas d'erreurs, et voilà un point sur lequel nous n'aurons plus besoin de nous étaler. Bon, alors je l'accorde, un cours à moitié bouffé par un point de grammaire c'est pas très funky funky. Certes, passons. On continue, c'est l'heure de commencer ma leçon préférée, celle qui parle de la bouffe. Manger c'est ma passion (comme quoi certains rêves sont accessibles n'est-ce pas?), alors cette leçon je la soigne aux petits oignons. J'ai des milliers d'activités ludiques et amusantes, comme par exemple prétendre la cécité dans un des marchés aux multiples couleurs de la ville d'Arequipa, et hop, nous y voilà, on révise: l'impératif, la situation dans l'espace, le lexique de la nourriture. Seulement voilà, cet exercice ne doit et ne peut être mis en place qu'après avoir abordé le lexique de base des aliments, on est d'accord. J'ai pas encore la solution miracle, et parfois il faut bien en recourir au cours magistral, bêtement et simplement. C'est donc ce qu'on doit faire pour le début de cette leçon. Je m'aide quand même du manuel (petite compréhension orale), et pour simplifier un peu la tâche j'insiste sur les correspondances avec l'espagnol. Première écoute; je suis appliquée, je me souviens de mes cours de M1; compréhension globale: je note au tableau Qui parle? Où sont-ils? Que font-ils? Quelle est leur relation? Sont-ils amis, de la même famille? (Le dialogue met en scène une mère et sa fille qui font leurs courses au supermarché). Première écoute donc, et mon élève ne comprend pas tout. On décortique ensemble les informations les plus importantes, on s'aide de l'image du livre pour mieux comprendre le thème abordé par la leçon, et ça y est, c'est déjà l'heure de la fin du cours, et oui! Résumons: sur un cours d'une heure on a eu le temps de:
- automatiser un point de grammaire appris précédemment
- introduire le thème de la leçon qui suit.
Ok, c'est pas beaucoup, et en plus c'est pas très diversifié.Mais pour moi cette heure de cours n'est pas un échec total.
Voici maintenant venue l'heure fatidique: le retour sur la leçon. Un certain nombre de points abordés par ma responsable sont, j'en suis parfaitement consciente, à retravailler. Pas assez de diversité dans les exercices, une tendance a l'éparpillation (je suis bavarde, que voulez-vous), une attitude peut-être trop statique (quoique pour un cours de cet acabit gesticuler dans la salle me paraît peu necessaire)... Mais un point sur lequel je ne suis pas, mais alors pas du tout d accord, c'est sur le rythme d apprentissage. Il faudrait donc que mon élève parle plus vite, peu importe s'il fait des erreurs, pour développer sa fluidite? Mais non! Ce qu'il apprend il l'apprend bien, et ça c'est valorisant pour lui comme pour moi. Il faudrait donc que je recourre plus à l'espagnol pour simplifier les explications grammaticales?? J'ai pour ma part appris l'espagnol en immersion lors de mon année en Bolivie, je serais bien à mal d'expliquer la moindre regle de grammaire de cette langue, mais je sais, par réaction quasi pavlovienne maintenant, que telle phrase est correcte et que telle autre ne l'est pas. Alors mon etudiant je vais lui verser un raz de marée de francais dans les oreilles, en prenant mon temps, et les résultats se verront, je le jure.
Parce qu'apprendre une langue ce n'est pas uniquement savoir répondre a des questions sans saveur et sans âme lors d'un entretien, carajo!
Enseignement et rentabilité, je me souviens de vos cours Madame Tellier, mais la rentabilité ne peut et ne doit pas être vue comme vertu capitale, n'est-ce pas?
NB: Pour précision, je m'entends très bien avec ma responsable, nous sommes très amies, il ne s'agit dans ce billet que de réflexions sur l'approche pédagogique, que l'on s'entende...

8 commentaires:

  1. Forza !

    Mais dis-moi, n'y a-t-il pas une forme de "rentabilité" dans tous les cours que l'on peut assurer, dans le sens qu'à l'issue du cours l'apprenant doit avoir progressé, découvert d'autres points, etc. ?

    Alors, relax !

    Bises. Marie-Jo

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  2. Comme Marie-Jo, je ne pense pas que la notion de "rentabilité" du temps de classe soit ennemie de la qualité, au contraire. C'est un rapport entre d'une part la durée d'apprentissage, et d'autre part la quantité, certes, mais aussi la qualité des acquis. Mais l'évaluation de la rentabilité dépend de l'objectif, donc si les apprenants doivent être prêts pour un examen ou un entretien en un temps donné, ne faut-il pas que cet objectif et la rentabilité associée ne deviennent vertus capitales ?

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  3. Coucou Morgane !
    Je rejoins et Marie-JO,et David. Le mot rentabilité doit être sorti d'un contexte économique...gestion du temps, des objectifs, aie! encore un mot vade retro satanas...gestion, production, ...ce ne sont que des signifiants associés à des signifiés, bien peu de chose en fait...bah! Observe ce mot juste comme signe et fais le tien, à la sauce -hum cocina, cocina - chocolat !
    bisous Anne-Marie

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  4. Mais c'est vrai que chaque apprenant est avant tout un individu, et possède un rythme et des stratégies d'appentissage dont il faut tenir compte. Et comme dit AM, "Rentabilité" ça fait un peu consommation de masse. Or, s'il est traité comme un canard qu'on engraisse pour le foie gras des fêtes il aura peut-être du mal à digérer.

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  5. Je souris... :-)
    C'est vrai que j'entends "rentabilité" non au sens économique de la chose mais plutôt du point de vue de l'apprenant. Un cours est rentable pour l'apprenant en fonction de son temps de prise de parole dans la classe et de la quantité d'éléments retenus et compris pendant la séance. Essayez de parler un peu moins (je sais que c'est dur) et de développer la réactivité chez votre apprenant en lui proposant des activités rapides pour l'habituer à travailler la mémoire procédurale et non déclarative.
    Bon courage

    Marion Tellier

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  6. la rentabilité... je me retrouve totalement dans ce que tu vis.
    J'entends rentabilité d'un point de vue administratif, et non une rentabilité pour l'apprenant: faire partie d'un établissement nous engage à respecter certains objectifs. Si ce n'est pas le cas, nous ne sommes pas des profs "rentables".
    Vais-je réussir à boucler le programme imposé? Vais-je être rentable??

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  7. Allez les jeunes, sortez-vous de la tête la connotation économique ! Vous faites une focalisation - ça n'est pas dans le dictionnaire aie! ouie! - une focalisation sémantique.
    Vous vous faites du mal pour rien. Relisez-bien ce que vous dit Marion, il me semble qu'elle a toujours été de bon conseil et d'une grande clarté pédagogique, on ne peut pas en dire autant de tout le monde. Promis, je n'ai aucun service à vous demander Marion ;)
    Bon courage pour la dernière ligne droite Morgane ! Tu restes encore combien de temps?
    Marine, je suis allée sur ton blog.
    à +
    Bises
    Sorcière du fle AM

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  8. Tous vos commentaires sont justes, mais parfois il est vrai qu'on se sent un peu sous pression, en particulier quand nos élèves ont confiance en nous... Encore 4 mois pour ma part, et beaucoup de travail à fournir pour l'université; à ce propos où en êtes-vous chers collègues? Car pour ma part je me sens un peu larguée...

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